histoire de l’hygiène

Propre comme un roi de France

Laurent Turcot, nouveau collaborateur reconnu pour sa culture historique et son sens de l’humour, se joint à l’équipe de Débats.

On entend souvent l’idée que le « monde », dans l’ancien temps, ne se lavait pas. Il y a plusieurs problèmes avec cette affirmation. Il faut cibler. Pour les besoins de la cause, intéressons-nous à l’époque moderne, soit du XVIe au XVIIIe siècle. 

La formulation est cependant toujours mauvaise, elle sous-entend un jugement d’un individu du XXIe siècle qui regarde des hommes et des femmes qui n’ont pas les mêmes conceptions du corps, de la médecine et de l’hygiène. Bon, allez, on jette tout à la poubelle. Posons une question plus sérieuse : quelles étaient les manières de se laver à l’époque moderne et sur quelle base médicale s’appuie-t-on pour légitimer ces actes ? Attachons-nous à reconstituer les mentalités de l’époque moderne par rapport à l’hygiène.

On connaît tous des anecdotes, par exemple celle de Louis XIV qui a pris un bain la veille de son mariage et une vingtaine en août 1665 sur ordre médical, puis s’abstint de tout bain jusqu’à la veille de sa mort où il se fit donner un bain de pieds. Au-delà de la drôlerie, il y a tout un système de pensée qui se met en place entre le XVIe et le XVIIIe siècle qui est hérité de la médecine antique, car parler d’hygiène, ça veut dire parler de médecine.

À cette époque, on considère qu’avoir une bonne couche de gras sur la peau ferme les pores et les empêche d’être pénétrés par les mauvaises humeurs.

On pense que l’eau est capable de s’infiltrer dans le corps. Le bain est alors mal vu : l’eau chaude fragilise les organes, laissant les pores béants aux airs malsains. On s’en méfie.

L’hygiène a aussi une portée très large, elle touche les aliments, les boissons, l’élimination des matières superflues et les influences extérieures, comme le climat. Elle s’inscrit dans ce qu’on appelle le corps microcosme. Considérant que le corps est le microcosme du macrocosme qui l’entoure, la théorie des humeurs donne une importance primordiale aux rythmes naturels qui, en lien avec les principaux fluides contenus dans l’enveloppe de la peau, façonnent l’équilibre entre santé et maladie. La théorie des humeurs, ce sont quatre humeurs (le sang, la bile jaune, le phlegme et la bile noire), qui sont présentes dans le corps et remplissent différentes fonctions. La santé est assurée par la préservation de l’équilibre des quatre humeurs, la médecine se définit comme une pratique qui doit rétablir l’équilibre humoral.

Sous l’Antiquité et au Moyen Âge, on retrouve des bains, des thermes et des étuves. Cependant, à partir de l’époque moderne, l’eau fait peur.

Les sociétés de l’époque moderne se caractérisent par la méfiance de l’eau :  on préfère se laver à sec plutôt qu’à l’eau.

Le plaisir du bain est associé à un rite païen. Ce n’est donc pas qu’on ne se lave pas, mais on le fait différemment de nos standards du XXIe siècle : on se lave à sec, on frotte sa peau avec des linges. Pourtant, au XVIIIe siècle tout cela va commencer à changer peu à peu. Le bain va faire son entrée plus systématique dans les maisons, mais surtout dans les palais royaux ; Versailles en possède un. Le statut de l’eau change.

Cela est dû aux transformations médicales. On attaque de plus en plus la théorie des humeurs. On ouvre le corps humain, on en étudie les organes. Commence à naître la physiologie. Ainsi, on étudie les effets de la nature sur le corps et le terme d’hygiène public commence à apparaître.

Hygiénisme et « paléo »

Au début du XIXe siècle, la tendance qui se généralise est celle de l’hygiénisme ; les traités et manuels de médecine deviennent ainsi des traités et manuels d’hygiène. L’insalubrité, qualifiée de pathologie urbaine, est désignée comme responsable du dérèglement de la santé. Il faut paver, drainer, ventiler et désinfecter. Cependant, on aurait tort de croire que le mouvement vers plus de lavage, plus de savon, plus de lessive est infini.

En janvier 2017, un article paru dans Le Temps titrait : « Rester sale, c’est du propre ! » On y apprend que la montée du mode de vie « paléo » pousse les gens à abandonner gels, savons et autres produits d’hygiène. Ainsi, selon les « diktats du paléo », on affirme : « pas de shampooing, pas de savon corporel, douches épisodiques, lavages limités des vêtements, usage minimal de détergent à lessive ».

Dire que l’on pensait que nos normes étaient fixées et que notre conception de l’hygiène était bien établie. Jamais l’histoire de l’hygiène n’a été aussi utile et disons que la prochaine fois qu’on dira que le « monde » ne se lavait pas et que les gens puaient, il faudra sans doute réévaluer ce que ça veut dire dans l’histoire et aussi dans notre monde contemporain en 2018.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.